L'idée selon laquelle les personnes sans-abri choisissent délibérément de vivre dans la rue est profondément ancrée dans l'opinion publique. Pourtant, cette perception simpliste masque une réalité bien plus complexe. Chez Infirmiers de rue, nous constatons quotidiennement que personne ne souhaite réellement vivre dehors, mais que la rue enferme dans un cercle vicieux dont il est difficile de sortir.
Une résignation face à l'adversité
Les personnes que nous accompagnons ont souvent traversé des épreuves lourdes : ruptures familiales, problèmes de santé mentale, violences, précarité extrême… Confrontées à ces obstacles, elles finissent parfois par perdre espoir en un avenir meilleur. Lorsqu'on vit depuis des années dans la rue, sans perspective concrète de relogement, il devient difficile d'imaginer un autre futur. Beaucoup finissent par s’y habituer, par résignation plus que par réel choix.
Le "choix" de la rue : une illusion de contrôle
Certaines personnes expriment pourtant un attachement apparent à leur vie en rue, allant même jusqu’à revendiquer ce mode de vie. C’est une manière de reprendre un semblant de contrôle sur une existence marquée par l’instabilité et les échecs répétés. « Puisque je suis sans-abri et que je n’arrive pas à m’en sortir, autant l’assumer et en faire une force », entendons-nous parfois. Mais cette posture ne tient pas sur le long terme. À mesure que le corps s’épuise et que l’isolement grandit, la nécessité d’un logement stable finit par s’imposer.
Nous le constatons dans notre travail : une fois relogées, la majorité des personnes ne souhaitent plus retourner à la rue, même si l’adaptation peut être difficile. Un de nos patients à Liège illustre bien cette réalité. Après plusieurs mois en logement, il l’a malheureusement perdu et s’est retrouvé à nouveau à la rue. Ce retour brutal à l’errance lui a fait prendre conscience de la dureté de cette vie et a renforcé sa volonté de ne plus jamais revivre cette situation.

Un accompagnement adapté : la clé d’un relogement durable
Si certaines personnes refusent une solution de logement à un instant donné, c’est rarement par rejet de l’aide. Plutôt, c’est une réaction face à des expériences négatives ou à des solutions inadaptées. Comme l’explique notre médecin coordinateur, le Dr Pierre Ryckmans : « Ce n’est pas un refus du logement en soi, mais une méfiance envers un système qui les a souvent laissées tomber. »
Chez Infirmiers de rue, nous savons qu’un logement ne suffit pas : il faut aussi un accompagnement sur mesure, qui respecte le rythme et les besoins de chacun. Pour cela, nous travaillons avec des partenaires du secteur du logement, comme les Agences Immobilières Sociales, qui offrent un cadre plus souple et bienveillant que le logement social classique.
Changer de regard pour mieux agir
Plutôt que de juger les personnes sans-abri, il est essentiel de comprendre la complexité de leur situation. Non, elles ne refusent pas le logement par choix, mais parce que la rue les a enfermées dans un mécanisme de survie où tout changement semble risqué. En proposant des solutions adaptées, en reconstruisant un lien de confiance et en accompagnant durablement chaque personne, nous savons qu’un retour en logement est possible. Chez Infirmiers de rue, nous sommes convaincus qu’en déconstruisant ces idées reçues, nous pouvons mieux agir pour mettre fin au sans-abrisme. Parce que chaque personne a droit à un logement, mais aussi au soutien nécessaire pour y rester.